Planqué à l’étage d’une maison délabrée, Manu observait attentivement le groupe de quatre personnes mal assorties et aux comportements étranges, qui marchait sans discrétion aucune parmi les ruines noires de la ville. Ces quatre gars lui semblaient familiers. Du moins, reconnaissait ‘il l’enfant sauvage en tête de groupe, courbé en appui sur ses mains et flairant le sol, jonché de-ci de-là de carcasses d’oiseaux et de petites bêtes déchiquetées, se relevant aussi pour humer l’air, tel un chien indompté sur une piste. Depuis son poste d’observation, Manu pouvait entendre le dernier gars de la file, un vieux chef de troupe crasseux sans aucun doute, engueuler fermement le sauvageon. « T’aura pas intérêt à te planquer la prochaine fois, espèce de trouillard, ou tu gouteras encore plus de mon ceinturon, petit merdeux ! J’vais faire de toi un homme !». « C’est bon Cartman, c’était des loups, il y avait de quoi flipper quand même, t’oublie qu’il a genre 12 ans le gosse ! » répondit un autre Ancien tout en réajustant son flingue sur son épaule ensanglantée. « Des putains de loups tu veux dire ouaip ! Jamais vu comme ça, on a bien failli y passer, suis dans un sale état » répondit le deuxième de la marche, un adolescent à peine plus âgé que le sauvageon et bardé d’un arc « Maintenant j’voudrais bien qu’on trouve un coin pour se poser, on en a tous besoin ! »
Manu siffla alors dans leur direction. Aussitôt le sauvageon marqua l’arrêt et pointa son doigt en direction de l’étage, les trois autres en position, prêts à en découdre à nouveau, arc tendu, batte empoignée et flingue en joue. « Z’êtes de la 3ieme Ruche non ? » c’est ainsi que Manu les invita dans son refuge de fortune où il pansait ses blessures en solitaire. Oui, il était bien le Solitaire des Moulins, le parasite égoïste qui avait effectivement déjà troqué avec Trou d’Terre car c’est comme ça qu’on surnommait le sauvageon. Cartman présenta le reste du groupe « là tu as George, un ancien qui aime bien peloter les blondes à gros nibards et tirer à tout va. Ici tu as Aaron qui se prend pour le plus grand chasseur de la Ruche mais qui râle en permanence dès qu’il se casse un ongle. Et moi suis Cartman, suis leur chef pour ainsi dire mais on m’appelle Le Shaman, rapport à mes délires. T’as de quoi boire un coup ? »
Devant un bon feu maitrisé, le groupe entier prenait enfin du repos. « Putain Aaron, ta blessure est vraiment moche, laisse-moi regarder ça » dit Cartman en s’approchant du jeune. « Attend, tu vas encore me pisser dessus ? T’as pas un autre truc que tu sais faire ? » « Peut être que j’ai un rite ancestral, répondit ‘il en dessinant un cercle à même le sol autour de Aaron, faut voir, que je me rappelle ! Georges, file moi une bastos, grouille, et fous toi, dans le cercle. Toi aussi Manu, t’as besoin de soin. » Allongés tous trois, Aaron et Georges se demandaient ce que le shaman, planté au milieu, avait encore comme délire. Cartman ouvrit le plus délicatement possible la douille de la balle pour en récupérer la poudre qu’il sniffa d’un trait en s’injectant aussitôt la dose d’adrénaline d’un seringue sortie de sa poche. Il rentra en transe, sous l’œil estomaqué de Manu.
Trou d’Terre, dans un coin de la pièce, jouait avait un phasme géant et ne participait pas à ce nouveau délire de leur chef mais remarqua aussitôt le rituel engagé que, dans l’immeuble d’en face, un homme nu l’observait en ricanant, un homme couvert de sang. « Un autre shaman ? » pensa t’il « viens » lui disait l’homme à la peau glabre « viens, rejoins moi » répétait ’il en manipulant une boite métallique. Cartman psalmodiait des sons incompréhensibles, bavant un liquide noir alors que ses yeux étaient devenus entièrement sombres et qu’il se tripotait le membre dans son pantalon puant de pisse. Le shaman ainsi que les trois blessés se retrouvaient à part, dans un autre lieu, aussi sombre que la plus étrange des nuits noires sans étoiles et sans lune et auprès d’eux se tenait une jeune fille-fougère encore plus étrange ! Cartman plongea dans une vision apocalyptique faite de tsunami de boue, de cris, de 3ieme Ruche éventrée par la vague immense et de corps inertes ou agonisants. L’effet du mélange s’atténua lorsqu’il vomit ses dernières biles noires au moment où les estropiés se relevaient, leurs blessures inexplicablement soignées mais cependant pas totalement guéries.
Le lendemain, ils repartirent tous à l’exploration des ruines de la ville. Après tout, ne fallait-il pas retrouver les traces de ces nomades aux médocs ? Trou d’Terre au-devant, renifla facilement plein de traces de passages et les conduisit rapidement à une sorte de campement au sol recouvert de restes de corps humains dévorés. « Cannibales, pas moins de 7h » dit Cartman après avoir léché le doigt qu’il venait de tremper dans les restes immondes d’un crane écervelé. « Là-haut, un homme dans les ruines, à l’étage ! » indiqua Manu. Aussitôt Aaron, Trou d’Terre et lui prirent les escaliers endommagés à sa poursuite, pour finalement tomber direct dans les nids d’une colonie d’araignées, certes craintives mais trop nombreuses. Peut-être un peu trop nombreuses au vu du cadavre emprisonné dans les toiles, prêts à leur servir de repas. « C’est pas lui que vous cherchez ? » questionna Manu. « Peut être bien. Lâche ce vieux truc Trou d’Terre, ça sert à rien à part griller du pain qu’on n’a pas » râla Aaron en regardant le sauvageon exhiber sa trouvaille « oui mais ça brille quand même, ça peut être utile !». « Putain de bras cassés cette équipe, vaut franchement mieux être seul » pensa Manu en continuant dans les étages.
C’est en haut qu’ils trouvèrent un deuxième nomade pareillement mort et entoilé. Dans la rue cependant, montaient des ricanements, des gloussements et des bruits d’agitations tout autour de Cartman et de Georges restés isolés au pied de la ruine. Un clan de cannibales les prenait pour cible, armés de bric et de broc mais sacrément déterminés à gouter un bon repas. Georges tira direct une rafale dans le tas, alertant ainsi les trois fouineurs d’étages. Cartman réussi à placer un bon coup de batte dans la tête d’un des cannibales mais ce dernier le croqua un peu au passage. Le temps de dire « putain de merde de sac à pisse ! Dégage ! » qu’il vit l’œil morve de l’anthropophage éclater par une des flèches d’Aaron. « Direct au sol ! Et dire qu’en plus elles sont paralysantes !! trop bien » dit l’archer à Trou d’Terre, juste après avoir décoché. « Et moi ça grille !! » lui répondit celui-là tout en balançant, de son mieux, le grille-pain en pleine tête d’un autre affamé qui reluquait avec envie les cuisses de Georges. « Légendaire !! » pensa aussitôt Manu en se mêlant au combat avec un tournevis, manière d’achever la victime du toaster. Pris par surprise le reste des culs-terreux préféra s’éclipser en ricanant vers les ruelles encombrées de gravats.
Reprenant la piste des médicaments, le groupe arriva non loin de là, dans une zone marécageuse où une cathédrale éventrée par une cascade, au clocher penchant, servait de point de repère dans le paysage dévasté de la ville ancienne. Sur le parvis, un gigantesque cerf plongeait son museau dans les tripes ouvertes d’un animal crevé. « Le diner est servi !! » s’enthousiasma Aaron lorsqu’il décocha sa première flèche. « Je pense qu’il est peut-être un peu trop gros, lui cria Cartman » avant de filer direct vers la nef de l’église. Trop tard, la bête furieuse chargea le groupe alors que Trou d’Terre et Georges essayaient d’attirer son attention. Trou d’terre se retrouva rapidement submergé par la force de la bête, prêt à se faire noyer dans les quelques centimètres d’eau. Heureusement les autres flèches et la rafale de Georges eurent vite raison de l’animal en furie. « Bha ! Au moins on a un peu de viande non ? » s’excusa Aaron en découpant l’énorme cuisse du gibier. A l’intérieur de la cathédrale le marécage s’étendait, abritant sous ses voutes tout une flopée de crapauds énormes et gluants qui, eux aussi, avaient pour repas prévu le troisième nomade. Au milieu des sangsues et des amas d’œufs translucides, Trou d’Terre alla, tant bien que mal, récupérer le sac providentiel bourré de médicaments.
Cartman repéra rapidement des traces de sang sur les murs, ses sens aux aguets ainsi que ceux de Manu qui l’accompagnait. Ceux-ci entendirent du bruit en haut des escaliers menant au clocher. Un bruit de radio, dont la voix semblait appeler quelqu’un qui ne répondait pas. Dans l’escalier, plus haut, gisait le dernier des nomades dans une mare de sang. La radio continuait de sa voix interrogative. « Cette voix, putain, mais c’est la même voix que la dernière fois quand on a réparé la vieille radio » réfléchit Cartman à voix haute alors que le reste du groupe les rejoignait. Ils rentrèrent tous dans la pièce supérieure du clocher. Là un vieil homme agonisait dans des giclées de sang sortant de son cou, Cartman se prit de boucher les artères du vieux, gagnant de précieuses secondes pour le questionner. Le vieux mourut dans un râle. « Bon courage » réussi t’il a dire en serrant dans ses mains un vieux blouson d’aviateur brodé aux couleurs de l’aérodrome de Portiragne. A ses côtés, un autre sac bien rempli ainsi qu’une carte de la région, quasi identique à celle qu’ils avait déjà, marquée de croix divers lieux de nids de frelon..
Cartman comprit que ce vieux parlait à l’autre dans la radio et qu’il dut être surpris par le dernier nomade. Une rencontre qui a mal tourna ensuite mal pour les deux protagonistes. Il prit le micro et rassura son interlocuteur en maquillant un peu sa voix sous prétexte de mauvaise réception. Il remarqua à cet instant un énorme frelon se poser sur la balustrade du balcon donnant sur la pièce. Aaron sentit vrombir, dans son sac à dos, le frelon qu’il avait capturé récemment et enfermé dans sa bouteille. « Hey les gars ! Visez moi tout ce qui a dans ce sac ! » s’exclama Georges en tirant une à une les affaires du vieux jusqu’à tomber sur une vieille photo. Une photo d’avant, de l’ancien temps, avant toute cette vermine. Ses yeux s’embuèrent de nostalgie. Sur la photo posait une soldate qu’il avait connu autrefois. « putain… Fanny Merier, qu’est ce que tu fout là ? » dit-il d’une voix qui se mit à trembler lorsqu’une larme coula du coin de son œil droit.
Aaron regarda alors dans la longue vue que le vieil homme avait installé. Visiblement il s’était aménagé un poste d’observation. Mais pour observer quoi ?… Soudain la dure vérité s’impose à Aaron. A perte de vue, couvrant tout l’horizon, un gigantesque nid de frelons recouvre le paysage sur des centaines d’hectares. Couvrant aussi bien les forêts que les anciennes communes de jadis. Comparant les données qu’il observe à sur la carte retrouvée sur le militaire mort, il comprend que les dates représentent l’avancée de cette horreur. Et que la progression se fait rapidement et dans leur direction. Poursuivant encore sa comparaison avec les info de la carte, il cherche du côté des lettres notées sur celle-ci et découvre qu’à l’emplacement noté par l’une d’elle, se trouve un camion renversé appartenant à l’armée. Visiblement, ils cherchaient à retrouver leur véhicules égarés. Mais que faisaient-ils là-bas ? Une reconnaissance ? En venaient-ils ? Un projet de récupération ou d’évacuation ?…

